4 chefs passent à table

Oubliez la tomate cerise à tremper dans une préparation de yaourt à l’ail et aux fines herbes, le pruneau enveloppé d’une fine tranche de lard et du roulé de jambon fourré au fromage frais… Les amuse-bouches constituent pour les maestros du piano un plat à part entière qui doit séduire l’œil et régaler les papilles. Pour cela, chacun sa conception et, juste pour vous, quatre chefs auvergnats ont accepté de nous livrer quelques-uns de leurs secrets.

MISE EN SCÈNE DE SERGE VIEIRA
Au Château du Couffour, pas moins de quatre personnes travaillent à plein temps sur les amuse-bouches. De quoi en faire en plat, nous diriez-vous. Serge Vieira attache une grande importance à ces entrées en matière, qui montrent l’effort fait dès l’entrée du restaurant. C’est pourquoi, chez lui, toute une réflexion est menée, comme elle l’est autour des mignardises. « C’est une vraie mise en scène qui nous permet de mettre les gens à l’aise, dans l’ambiance. Une façon de dire : vous allez passer un bon moment. Et, c’est pour nous un moment offert qui doit surprendre. »
Ainsi, Serge Vieira tient à mettre en avant un vrai travail de création, de recherche de toute une équipe, qui commence dès le matin, sur la route pour aller au marché. Au retour, tout se concrétise, l’artiste crée son œuvre. « Chacun est libre de proposer quelque chose que j’accepte ou pas. L’important pour moi, c’est de les intéresser à cet esprit de recherche, les amener vers la créativité. »
Et quand on voit arriver le fameux trio de crackers, on comprend vite ce que le chef a voulu dire. Pour confectionner ses fines « tartines » maison, Serge Vieira mène une réflexion sans cesse renouvelée avec différentes sortes de pains, souvent inspirée de ses voyages, mais aussi des couleurs locales. « En ce moment, par exemple, nous travaillons sur du pain noir à la mélasse, très répandu dans les pays nordiques. On propose également du pain à la carotte et à l’orange sanguine avec du fromage blanc aux herbes, un petit feuilleté accordéon avec des champignons à la grecque et de la crème à la cistre ou encore du pain aux céréales avec de la truite fario gravlax et une purée de brocolis ». Sa toute dernière création, sortie du chapeau après un voyage à l’île Maurice : un mélange de cantal et de fécule de pomme de terre cuit sous vide, découpé puis frit, servi avec une salade de coques et de radis et une mayonnaise au curry. Et, l’important, c’est qu’il faut que ça craque ! Une évidence pour le chef qui sait que la surprise est immédiate si l’on fait vibrer l’oreille interne. Et les crackers ayant un côté ludique, « apéro comme à la maison », rien de mieux pour se mettre à l’aise.
C’est alors le bon moment pour passer aux amuse-bouches, les vraies, servies en quatuor cette fois, en lévitation sur un cône en lave de Volvic. « Là, nous sommes sur du plus soft en texture, un esprit plus Bocuse d’or, avec des montages plus techniques, des choses plus travaillées. Nous servons toujours un chaud, un froid, un tiède et un à base de légumes. » Des mini-plats en quelque sorte, servis toujours sans contenant. Un vrai travail d’architecture culinaire, qui prend la forme de mini-tartelettes, de beignets…

LES PETITS BIJOUX DE MARLÈNE CHAUSSEMY
Marlène Chaussemy, en sa table éponyme, crée ses amuse-bouches sur l’instant, au fil des saisons. Tous les jours, elle se rend au marché et prend ses idées sur place. Chez elle, des tuiles, préparées à base de pâte à crêpe réalisée avec du seigle, ouvrent le bal. D’une grande finesse, elles sont accompagnées, selon le moment de petites chips de légumes, d’acras de morue, de guacamole d’avocat, de royal d’oignons, de tomate mozzarella revisitée. Ensuite, elle aime offrir des petits potages, souvent aux légumes, mais également du foie gras royal, des magrets de canard, le tout présenté dans des petites porcelaines ou des petites verrines. « On a envie de servir ça comme des petits bijoux. Ce sont des petits plats d’attente, un point de départ avant le repas, un éveil avant l’entrée, un réveil des papilles ». Ses petites merveilles, elle fait en sorte qu’elles soient « goûteuses, légères » et « qu’elles ne ressemblent pas aux plats du menu. » Du minimalisme dans ce qu’il a de meilleur et de plus beau.

LES « MISES EN APPÉTIT » DE PHILIPPE BRUN
Philippe Brun n’aime pas parler d’amuse-bouches. Il leur préfère les mises en appétit, qui, dans cette appellation, sont très facilement compréhensibles : « Les mises en appétit sont là pour mettre les papilles en éveil, mais aussi tous les sens. » D’abord la vue : « On présente toujours quelque chose de joli, avec de la couleur, un beau contenant. » Puis, le toucher. Le chef a en effet toujours un petit croustillant à offrir, qui peut prendre différentes formes et qui, en tout cas, peut toujours se manger avec les doigts. Vient l’odorat et enfin le goût.
Au Haut Allier, les mises en appétit sont servies dans des verres larges à double paroi, qui permettent une mise en valeur esthétique et un dégagement olfactif maximum. Dans ses jolies verrines, le chef propose des veloutés — de champignons, de courgettes, de petits pois, de lentilles vertes — des consommés, avec toujours une petite purée en fond et un sabayon, un espuma ou un siphon sur le dessus. « Nous jouons sur l’esthétique mais également sur les contrastes de textures et de goût. » Ainsi, des asperges blanches seront associées à des trompettes et un sabayon aux épices, des courgettes à une purée de tomates… « Des choses paraissant évidentes mais qui demandent un travail de recherche, ne serait-ce que pour mettre en avant les qualités organoleptiques afin d’impressionner les sens au maximum. »
Les sens, Philippe Brun les impressionne comme il se doit en commençant par le craquant. Avant toute chose, il offre à ses clients des petits croustillants, notamment un au cantal et aux épices, basalte de son nom de scène. Ils les accompagnent de cromesquis, de tartelettes, d’effiloché de bœuf… Des petites mises en condition créées au fil des saisons, selon l’humeur du moment, avec toujours cette envie de faire plaisir.

LES PRÉLIMINAIRES DE CHRISTOPHE KOVACS
Pour Christophe Kovacs aussi, les amuse-bouches revêtent la plus grande importance. Pour preuve, ses clients, il l’a remarqué, « posent beaucoup de questions sur ces avant-repas que je considère comme un plat à lui tout seul. C’est de la cuisine avant toute chose et le but c’est que ce soit bon. » C’est pourquoi il ne s’interdit pas de transformer un amuse-bouche en plat et vice versa. Tel est le cas de sa déclinaison sur la courgette — gelée de courgettes avec courgettes sautées, anchois de Rosas, siphon à la courgette — bientôt au menu. Selon les saisons, le chef offre des potages, chauds — velouté de champignons de Paris avec crème montée et sucre roux, lentilles à l’orange, champignons et potimarron au citron vert… — ou froids (gaspacho de tomates rouges agrémenté de glaçons de tomates vertes). Mais, il peut également jeter son dévolu sur un petit chou farci de canard col-vert, compotée de châtaigne ; un petit œuf poché pané à l’amande avec ratatouille glacée, des tomates confites farcies au fenouil confites au four avec une vinaigrette d’anchois, des asperges panées avec du jambon noir de Bigorre… Ses idées, elles lui viennent souvent grâce au contenant, comme c’est le cas de son œuf, parti de l’achat de coquetiers. « Ensuite, il faut trouver des choses nouvelles et c’est tout l’intérêt. Là, les produits de saison parlent d’eux-mêmes. » Selon lui, les amuse-bouches sont des préliminaires du repas auquel ils donnent le ton. Pas question, donc, de les confectionner par-dessus la jambe, la chose la plus importante pour lui, comme dans tout plat, étant la garniture qui se doit de sortir de l’ordinaire. Et pour parfaire ces avant-goûts, Christophe Kovacs offre également deux petits « patientés », comme une royale de foie gras avec compotée d’échalotes, une brandade de morue avec vinaigrette citron-gingembre…

→ CORINNE CHESNE