Emmanuel Hébrard, l'Auvergne en héritage

Revendiquant haut et fort ses « origines volcaniques », Emmanuel Hébrard s’épanouit depuis quelques mois en son Ostal clermontois, dans une cuisine fondée sur l’ici et le maintenant. Celle dans laquelle il aime se laisser aller et faire parler ses émotions.

Le 3 février, Emmanuel Hébrard et son épouse Estelle ouvraient leur restaurant en lieu et place de l’étoilé Apicius. Un endroit idéal pour le chef, désireux de revenir en son Auvergne natale, quittée il y a de nombreuses années. L’homme, après une formation classique au Lycée de Chamalières, des haltes auprès des plus grands — édouard Loubet, Patrick Henriroux, Anne-Sophie Pic, Stéphane Raimbault — a posé ses valises en Bourgogne à l’Abbaye de la Bussière. Il y est resté huit ans, dont six en tant que chef. C’est là qu’il a rencontré Estelle, alors chef de rang.

Ensemble, ils ont alors décidé de faire le grand saut. « Je ne me suis jamais senti autant Clermontois, avoue Emmanuel Hébrard. Je suis parti quand j’avais vingt ans. Je redécouvre ma ville, je lève les yeux, je vois les choses autrement. » De ses origines — « Je suis avant tout Auvergnat de la chaîne des Puys. Le Pariou, les Goules, Chaumont ont été mes terrains de jeu durant toute mon enfance » — le chef joue à toutes les sauces, de la mise en bouche à la mise en place.

« J’ai toujours fait une cuisine très lisible. »

La salle, tout d’abord, a été pensée dans le moindre détail comme un clin d’œil à la région, « au terroir volcanique » : « Nous avons d’abord choisi les chaises, à la couleur évocatrice. Les banquettes vert prairie symbolisent la plaine de Lachamp. Il y a du bois, de la pierre de Volvic. Il manque juste de la pouzzolane pour que ce soit ambiancé au maximum. Mais, ça ne saurait tarder ! » Le couple a également « réfléchi à un art de la table qui change, épuré et mettant en avant le local ». Les couteaux viennent de chez Perceval, les couverts de la coutellerie Verdier. Les cubes présentoirs, « véritables pièces de vie qui évoluent tout au long du repas », sont signés Thierry Courtadon. Côté assiettes, le chef avoue « ne pas s’être facilité la vie » en jetant son dévolu sur de grandes assiettes plates, « toiles vierges laissant une grande place à la liberté d’expression, mais qui ne donnent pas droit à l’erreur. »

Un instinctif amoureux du produit

Et, c’est en regardant Emmanuel Hébrard dresser un plat que l’on comprend. L’homme convainc par un geste assuré, une façon toute personnelle de faire foisonner les petits détails pour, au final, rendre le tout d’autant plus lisible. Pour ce faire, pas besoin de papier et de crayon. « J’ai essayé, ça ne marche pas, dit-il. J’improvise, je fais évoluer et, comme je n’aime pas faire dix fois les mêmes choses, je peux apporter jusqu’à cinq-six changements. Et, quand j’arrive au bout du truc, je passe à autre chose. Dans une semaine, la grenouille ne sera peut-être plus grenouille, la fraise plus fraise… »

Un art instinctif en tout point à l’image de sa cuisine « à l’instantané, où rien n’est caché », comme il le dit lui-même. Il n’intervient pas dans l’existence des produits qui, selon lui, se suffisent à eux-mêmes. Quand il travaille la fraise, c’est pour le fruit et il tient à le respecter. Pas de mousse, encore moins de gelée ! Et, comme il le rajoute : « Aujourd’hui, je n’ai pas de honte à présenter une truite meunière, mais une vraie, vraiment cuite meunière, cuite à cœur, à la chair rosée et la peau croustillante à point. » Ce n’est pas pour rien qu’Emmanuel Hébrard s’ébahit devant un Emmanuel Renaut, « qui peut transformer une pomme de terre en une chose magnifique. C’est de la magie ! » Pas besoin, à l’écouter, d’aller chercher dans le produit de luxe pour trouver de beaux produits.

Décliner dans la sobriété

L’Auvergne étant sa terre de prédilection, Emmanuel Hébrard avoue qu’il ne manque de rien. Et il travaille tout ce que la nature peut apporter, les fruits, les légumes, mais aussi les herbes sauvages qu’il adore aller ramasser en famille. Il fait son marché tous les jours, s’en remettant à tous les artisans du coin — entre autres Gaby Gauthier, Auvergne Primeurs, la pisciculture de Saint-Genès l’Enfant, Les Vergers d’Ornon, Verdier-Peyrin, Biau Jardin — autant que faire se peut. Il cherche encore un producteur de pigeon et d’écrevisses… Et, s’il aime tout travailler sans exception, évidemment les produits de la mer ne font pas souvent partie de son répertoire. Mais, il reste les poissons d’eau douce !
Ses idées, elles lui viennent comme ça, en revenant des courses, le jour, la nuit. Ce qui ne l’empêche pas de guetter les tendances. « La cuisine a énormément évolué et continue de le faire. Si on ne se met pas à la page, on est très rapidement has been ». Asperge et boudin noir, gnocchi de lentilles et cantal, fraise et reine-des-prés, les déclinaisons dans la sobriété, la simplicité en toute subtilité sont son domaine. Rien d’évident mais presque, et de la surprise juste ce qu’il faut. Créatif ancré dans son identité régionale, Emmanuel Hébrard crée une cuisine descriptible, savoureuse, sans pédanterie, qui répond avant tout à la justesse. à vous de vous laisser tenter par les menus Pariou, Puy de Chanat, Puy de Dôme…

→ Corinne Chesne
www.lostal-restaurant.fr