Les épices indiennes : le jardin d’Éden

Cette année, notre rubrique Bien Manger s’intéresse à celles qui stimulent nos sens et aident à maintenir notre santé. Dans leur sillage se mêlent une multitude de couleurs, odeurs, saveurs qui sont autant d’invitations au voyage. J’ai nommé les épices ! Débutons notre tour du monde par l’Inde, vaste continent considéré comme leur Éden.

Le Petit Gourmet : Pour quelles raisons avoir choisi de parler des épices ?
Élisabeth de la Fontaine : En France, nous n’avons pas la culture des épices, nos sens sont un peu atrophiés. Nous les confondons souvent avec les piments et sommes un peu timorés lorsqu’il s’agit de les employer, comme si nous avions peur de nous enflammer. Quand elles sont apparues sur notre continent, elles ont été utilisées par une élite et n’ont pas pénétré toutes les couches de la société. Il est intéressant de les réhabiliter. L’Inde possède une cuisine très métissée où elles occupent une place essentielle. Avec les épices on va dans l’infiniment petit.

LPG : Les épices confortent le lien étroit qui relie cuisine et santé ?
EdlF : Les épices sont chargées de fantasmes, elles évoquent les merveilles, la luxuriance, une intensité et une profondeur qui nous mettent sens dessus dessous et peuvent conduire à l’extase. Leurs effets sur le corps sont bien connus des droguistes et apothicaires. La science ayurvédique (qui se rapproche de notre antique « médecine des humeurs ») est connue en Inde depuis au moins 5 000 ans avant J.-C. Elle fait appel aux épices pour stimuler ou modérer afin d’atteindre un équilibre. Dans les recettes indiennes, la liste des ingrédients est considérable et témoigne d’une liberté de mariages infinis. Ainsi, on peut rendre léger un plat lourd rien qu’en jouant sur le piquant et l’acidité. Tout est toujours affaire de dosage. Côté mesure, les Indiens partent souvent d’une demi-cuillère à café par épice mais, en ce qui nous concerne, mieux vaut faire ses gammes avant de monter en intensité. On peut nuancer les recettes pour répondre à nos humeurs, lesquelles reflètent souvent nos besoins.

LPG : Quels sont leurs effets sur notre organisme ?
EdlF : Grâce à leur forte concentration en substances actives, les épices soutiennent « le feu de la digestion », laquelle est le « La » d’une bonne santé. Elles nous permettent de profiter au mieux des aliments et même d’accéder à leur intelligence. Les papilles et les neurones vont de pair, ce qui stimule l’un stimule l’autre. Toutes les épices concourent à assainir la flore intestinale et stimuler les différentes sécrétions. De la même façon que les plantes dont elles viennent sécrètent des substances pour résister à l’environnement dans lequel elles se trouvent, les épices nous transmettent physiquement de quoi nous défendre, et agissent même au niveau subtil via leur contenu en huile essentielle. Elles sont également les meilleurs antioxydants au monde, d’où l’intérêt de les réintroduire au quotidien. L’une d’entre elles, le poivre, s’y trouve déjà. Il initie la digestion interne et possède des qualités antiputrides d’où son utilisation en charcuterie.

« LES ÉPICES NOUS METTENT SENS DESSUS DESSOUS. »

LPG : Quelles sont les principales autres épices indiennes ?
EdlF : Le clou de girofle, la muscade et la cannelle (les deux dernières méritant d’être aussi utilisées dans des recettes salées), suivies de la cardamome, du cumin, de la coriandre, du fenugrec et des graines de moutarde, le gingembre, le curcuma. Ensuite, moins connues en Occident mais que l’on peut désormais trouver, l’asa-fœtida, une résine tirée d’une plante ombellifère semblable à un fenouil géant. Elle possède une odeur fétide et un goût qui pourrait s’apparenter à celui de l’ail et de l’oignon mêlés mais non remplaçable par eux. Il y a aussi l’ajowan, proche du thym mais très particulier. Et la feuille de curry, semblable à l’hélichryse, appelée ainsi car elle dégage un parfum de curry lorsqu’on la froisse.

LPG : Comment sont-elles utilisées ?
EdlF : Les mélanges d’épices indiennes sont des massalas, comme le garam massala dans l’Inde du Nord, sec, chaud et aromatique alors que dans le Sud, ils sont humides et plus brûlants. Pour que les arômes se conservent, il faut toujours ajouter une graisse. Au Nord, on emploie du ghee (beurre clarifié), au Sud de la noix de coco, ce qui donne deux typicités très marquées.
Il existe autant de massalas que de personnes qui créent les mélanges. Plus il y a d’ingrédients, plus ils sont subtils. Si vous en achetez tout prêt, c’est un bon critère de choix. Dans l’Allier, l’entreprise Masalchi (qui signifie « mélangeur d’épices » en Hindi) sélectionne les épices issues de l’agriculture biologique, les transforme, les torréfie et les mélange.

LPG : Un dernier conseil ?
EdlF : Dès que l’on fait revenir un oignon, on peut inviter les épices pour qu’ils s’expriment sous le coup de la chaleur, ensuite on ajoute légumes ou viandes. Si on souhaite un goût moins soutenu, mieux vaut les ajouter à la fin. Les épices révèlent les goûts par effet de contraste, n’ayez pas peur de tenter vos propres mélanges !

→ Propos recueillis par Corinne Pradier

 

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La reine des épices

Le poivre est issu d’une liane, appelée « vigne de feu ». Il représente un quart du marché des épices. Racine appelait les magistrats les « grands épiciers » car on les soudoyait en leur offrant des pots de-vin, non en monnaie mais en poivre. Ce fut longtemps l’une des épices les plus chères, d’où l’expression « payer en espèces » (épices). De même qu’il est préférable d’utiliser une râpe pour les noix de muscade, il est conseillé d’avoir un moulin à poivre pour révéler la saveur de ses grains. Le poivre noir est à maturité, le vert non maturé (conservé dans du vinaigre ou lyophilisé) et le blanc débarrassé de son enveloppe extérieure est plus doux.

Élisabeth de la Fontaine sort de son hibernation !
Les animations reprennent ce mois-ci, avec 5 rendez-vous par mois et notamment cette année, un cycle dédié aux épices lors des ateliers repas du dimanche.
Consultez l’agenda sur : www.anachronique.frwww.anachronique.fr